Le COMETS publie un nouvel Avis « Les campagnes d’opportunité : des partenariats éthiques pour la recherche scientifique ? » (n°2023-45), approuvé le 14 septembre 2023.
Groupe de travail présidé par Christine Noiville
Rapporteurs : Etienne Bustarret, Eric Guilyardi, Magali Jacquier, Christine Noiville
RÉSUMÉ – Le COMETS a été saisi par le PDG du CNRS en vue de formuler des recommandations sur les conditions éthiques dans lesquelles des personnels de recherche du CNRS peuvent poursuivre des « campagnes d’opportunité », c’est-à-dire bénéficier de moyens logistiques publics ou privés qui ne sont pas destinés à la recherche – avions de ligne, bateaux de commerce, de croisière ou de plaisance, bâtiments de la marine nationale…– pour y embarquer des instruments et collecter des données scientifiques ou pour y embarquer eux-mêmes et conduire un projet de recherche.
Cette saisine intervient après que le CNRS a été interpellé publiquement par le collectif « Scientifiques en rébellion » à propos d’un type particulier de campagnes d’opportunité proposées par une compagnie touristique, la Compagnie du Ponant, qui organise des croisières aux pôles et fait de la présence de chercheurs et de projets de recherche à bord un argument commercial à l’intention de ses clients. Ce modèle, qui renouvelle sensiblement la notion classique de campagne d’opportunité, s’inscrit dans un mouvement plus général initié par des opérateurs de tourisme qui organisent des voyages dans des milieux « uniques » ou difficiles d’accès (pôles, lagons, etc.).
Dans son avis, le COMETS replace ces cas de figure dans une analyse globale des campagnes d’opportunité, en étant attentif à l’ensemble des dimensions qu’elles mettent en jeu (apports de connaissances, impact sur l’environnement et sur les populations, financement privé de la recherche, etc.). Il estime que, de manière générale, les campagnes d’opportunité peuvent indéniablement fournir des données scientifiques dont il serait dommage de priver la recherche. Il considère toutefois qu’elles deviennent potentiellement problématiques quand elles sont l’accessoire d’un tourisme qui impacte négativement l’environnement et, plus encore, quand elles servent d’argument pour cautionner voire promouvoir un tel tourisme.
C’est pourquoi le COMETS recommande, face à l’offre de telles campagnes associées à des activités touristiques dans des espaces fragiles (régions polaires, espaces protégés, lagons, grands fonds, espace…), d’être particulièrement attentif à faire la balance entre, d’une part, l’apport scientifique de la campagne, et, de l’autre, l’impact environnemental et socio-culturel de l’activité à laquelle elle se rattache, ainsi que les répercussions de la campagne sur l’image du CNRS et de la recherche en général.
En l’occurrence, le COMETS exprime une profonde réserve à l’égard des campagnes d’opportunité actuellement proposées par la Compagnie du Ponant sur le navire brise-glace Commandant Charcot en Arctique et en Antarctique. En comparaison avec d’autres opérateurs de tourisme aux pôles, cette entreprise témoigne certes d’une démarche relativement vertueuse concernant les enjeux environnementaux et propose aux chercheurs et aux chercheuses qu’elle accueille des contrats respectueux pour la recherche. Toutefois, ces campagnes ne présentent qu’un intérêt scientifique modeste au regard de leur impact sur l’environnement et sur les sociétés humaines, tout en faisant de la présence de scientifiques à bord un argument promotionnel en faveur du tourisme polaire, activité d’autant plus contestable du point de vue éthique qu’elle prend une ampleur inégalée et soumet les pôles à une pression croissante.
Plutôt que de laisser les personnels de recherche décider seuls de s’engager ou non dans ce type de partenariats et les délégations régionales négocier ces derniers au coup par coup, le COMETS recommande au CNRS :
– d’adopter un positionnement public clair sur les critères d’acceptabilité des campagnes d’opportunité et autres partenariats avec des entreprises et fondations ; pour le COMETS, devraient systématiquement être pris en compte l’intérêt de la campagne au plan scientifique, son impact environnemental, son impact social et culturel, ses répercussions sur l’image du CNRS et de la recherche en général ; ce positionnement devrait identifier clairement les « lignes rouges » et les actualiser périodiquement face à une offre de campagnes en constante évolution ;
– de se doter d’un cadre applicable à la conduite de celles des campagnes d’opportunité qui seront in fine considérées comme acceptables ; ce cadre devrait notamment assurer que les campagnes se déroulent dans le respect des intérêts de la science, de l’indépendance et de l’impartialité de la recherche, et des obligations professionnelles des personnels de recherche. Devraient en particulier être respectés les points suivants : règles de cumul d’activités ; projet scientifique évalué par les pairs, clair et de qualité ; démonstration de ce que la campagne d’opportunité permettra de recueillir des données utiles au projet proposé ; rapport de campagne circonstancié ; évaluation ex post du projet ; propriété des résultats et des données collectées au profit du CNRS ; publication et accès aux résultats sans restriction possible par l’opérateur privé ; attention particulière à la possibilité de réutiliser les jeux de données collectés pour d’autres recherches (les principes de la science ouverte encouragent à ce que les données de la recherche soient « réutilisables », ce qui est particulièrement souhaitable lorsque les données ont été obtenues en milieu fragile, afin de ne pas multiplier les campagnes).